Dirigeante Hybride réservée

Des respirations saccadées. Des bruits de disputes. Des flux magiques en mouvements. L'odeur omniprésente d'un sang putride. D'un sang souillé. Combien de temps cela faisait-il, déjà ? Derrière elle, la paroi minérale eut un soubresaut. Elle ne bougea pas. Elle économisait ses forces magiques. Elle économisait son souffle. Ne comprenait-il donc pas qu'à s'agiter ainsi, ils ne feraient qu'agrandir ce qui serait leur propre tombeau ? Les généraux Humains, hors d'haleine de s'être escrimés en vain sur la roche après avoir occis les scorpions, finirent par s'effondrer dans un coin. Elle ne leur accorda pas un regard. Enfin ils s'étaient calmés, ce n'était pas trop tôt. L'oxygène allait commencer à se faire rare, il semblerait qu'ils l'aient enfin compris... La chaleur étouffante avait eu raison de ces montagnes de muscles, au soulagement extrême de la dirigeante hybride assisse en tailleur, dos au mur frais du volcan endormi. Elle commença à repenser à tout ce qui s'était passé. Un nouveau tremblement agita le boyau de pierre les retenant prisonnier. Éléonore ferma les yeux.

Tout cela a commencé avec l'apparition de ces serpents géants, ces Basilics comme ils les appellent. Deux ans que des êtres humains ont perdus la vie à cause de ces reptiles. Pourquoi la Reine avait-elle autant attendue ? C'est impensable qu'elle ait pu laisser la situation dégénérer comme ça... Ma gorge est sèche, damnation. Combien de temps pouvons-nous encore tenir ? Et puis, je sens les fibrations du sol. Quelque chose de gigantesque se rapproche d'ici, à grande vitesse. Un déplacement sinueux... Avec une telle amplitude ? Comment cela se pourrait-il ? Cette chose est trop loin pour que je puisse m'en faire une idée véritable. Oh, elle s'est stoppée. Elle est loin, mais si massive que j'arrive à sentir sa pression jusqu'ici. Quelle peut être cette créature, à la fin ?! Je n'y comprends plus rien. Ah, j'ai une idée...

Concentrée à l'extrême, tendue, la dirigeante des Hybrides fit son dos épouser le mur de pierre. Un flux monstrueusement gigantesque secoua violemment la montagne. Quelque chose d'autre arrivait. Mais zut à la fin, ne seraient-ils jamais en paix ? Saleté de cataclysmes ! Hein, mais qu'est ce qui se passe ? Une explosion retentit. Les dirigeants furent soufflés comme des fétus de paille, tout comme les murs de leur prison. Esther fut projetée à l'autre bout du boyau et s'effondra sur le sol, sonnée. Décidément, ce n'était pas son jour, elle comprenait de moins en moins ce qui se passait. Elle se releva difficilement en prenant appui sur sa lance de guerre. Aveuglée, elle ne distinguait devant elle qu'une large silhouette éblouissante lui brûlant les yeux. Des yeux d'or luisant croisèrent les siens bleu turquoise. Un sifflement strident lui déchira les tympans. Un éclair de douleur traversa son corps et son esprit. Un hurlement de douleur fit vibrer l'air, et elle tomba à genoux, se tenant la tête en proie à une vive souffrance. Ce ne fut que quand elle toucha le sol qu'elle comprit que c'était elle qui venait de pousser ce cri déchirant.

Le supplice de la douleur lui coupa le souffle. La "Chose" qui avait fait voler en éclat leur prison tentait de s'immiscer dans son esprit par la force. La pression était si forte, si vive ! Des larmes brûlantes dévalèrent ses joues. Elle devait résister, elle devait résister ! Sa puissance n'avait pas à lâcher, pas maintenant ! Dans un rugissement bestial, Esther repoussa violemment l'intrus de son esprit, le tailladant psychiquement autant qu'elle put, l'écrasant, le piétinant, le saignant sans scrupule sous la puissance magique qu'elle possédait. Une brise fraîche la coupa dans son élan, comme un coup de poing dans le ventre. Ses yeux s'ouvrirent d'un coup. Et elle Le vit. Lui. Le Phénix Légendaire. Le Phénix de la Flamme Éternelle.

Par la Flamme je suis né,
Par Elle je mourrai.
Tu es l'Élue que J'ai Choisie.
Tu seras l'Étincelle de l'Avenir,
La Flamme vengeresse, le Brasier de l'Espoir.
Montre-toi digne de Mon choix.
Prends cette Plume,
Et Scelle de ton sang
Le Pacte des Phénix Éternels.

Elle en restait soufflée. Les yeux aveuglés par ce brasier, la main tremblante, Esther prit son présent inestimable. L'oiseau mythique incandescent eut l'air de sourire. Inconsciemment, la Chimère fit la traduction du Pacte aux dirigeants tout en dessinant des arabesques complexes sur la Plume à l'aide de son sang. Le Phénix siffla afin de réclamer toute son attention. Elle leva aussitôt les yeux vers lui. La créature mythique n'en avait pas fini. Il avait encore un dernier avertissement pour Eux, tous. Cette fois, elle se laissa pénétrer par l'Esprit du Phénix. Les yeux fermés, irradiant d'une puissance incommensurable, elle s'adressa aux autres Dirigeants. Sa voix mystique, désincarnée, à la fois humaine et bestiale, résonna dans l'air.

Je domine la Terre et le Feu,
Le Pacte des Phénix Éternels ne peut être brisé,
Seule la Mort Souveraine Me domine.
Humains, Non-Humains, écoutez Mon avertissement.
Méfiez-vous du Phénix qui est mon exact opposé.
Méfiez-vous de Mon reflet, Mon inversé.
Méfiez-vous du Fils des Cieux,
Méfiez-vous du Protecteur de la Glace...

Une bourrasque souffla et les autres durent retenir le Chimère pour l'empêcher de s'effondrer une nouvelle fois. L'esprit du Phénix s'extirpa de son corps, dans un éclat lumineux. Elle n'arrivait pas à y croire. Haletante, elle s'appuyait désespérément sur sa lance, jurant intérieurement. Si l'oiseau légendaire avait pu si facilement prendre possession d'elle, pourquoi avait-il "joué" avec ses forces, un peu plus tôt ? La jaugeait-il ? Des questions se bousculaient en pagaille dans sa tête, sans réponse. Elle en serait quitte pour une bonne migraine... Le chef des Humains, un homme encore dans la fleur de l'âge, la porta à demi jusqu'à la sortie... Esther inspira profondément une bouffée d’air frais. Pourvu que c’en soit fini, s’il vous plaît…
Sa vue se brouilla. Décidément, il ne manquait plus que ça. Elle était trop épuisée pour aller où que ce soit. Ses forces magiques étaient épuisées. Damnation, elle aurait encore des progrès à faire en rentrant à Alistair...Si elle y rentrait. Un sourire crispé étira ses lèvres tandis qu'elle fermait les yeux. Le froid mordant la saisit dans sa gueule acérée. Ses blessures causées par le Phénix de feu saignèrent, avant que le sang ne commence à geler. Avec une hémorragie, même stoppée, et une hypothermie, elle ne pourrait pas aller bien loin, elle le savait… Tiens, qu’était ce que ça, encore ? La Chimère se sentait réchauffée. Ses paupières closes s'entrouvrirent. Dans sa main luisait doucement la Plume.
Son sourire s'adoucit. Elle avait comprit. Ses doigts se refermèrent avec délicatesse sur le présent. Et elle se redressa de toute sa hauteur malgré la douleur.

_ "Il" arrive, déclara-t-elle en observant le ciel.

Avant que quiconque ait pu demander plus d'explications, une déflagration glaciale s'abattit sur la montagne. Un blizzard de neige et de glace souffla cette fois sur eux. "L'Autre" déploya ses ailes devant eux, sous les regards ahuris des généraux humains. Une paire d'yeux froids comme la nuit balaya l'Assemblée. D'un battement d'aile, Il se mit face à eux. Mais il visait quelqu'un de bien précis. Il La visait. Elle. Esther ne dit pas un mot. La créature divine souhaitait converser avec elle par la pensée. Il en était hors de question et elle le lui fit bien sentir. S'il désirait s'exprimer, autant que ce soit à tous les Dirigeants de ce Continent. Régénérée grâce à la Plume du Feu, elle fit fondre la volonté belliqueuse du Phénix des Glaces, qui semblait d'ailleurs préférer éviter le conflit. Après avoir levé un sourcil, le sourire de la demoiselle s'élargit puis elle s'inclina respectueusement.

_ Ne vous méprenez pas, Enfants de la Terre,
Mon Frère le Flamboyant, c'est Lui dont il faut Vous méfier.
Moi, le Phénix de Glace, Seigneur des Cieux,
Souverain du Froid et du Repos,
J'ai été envoyé pour Vous aider.
Par la Tempête et par les Blizzards,
J'ai juré de Vous rendre saufs.
Grimpez, Enfants de la Terre,
Le Temps presse...

Tous s'exécutèrent d'un même mouvement, grimpant... Sauf Elle. Esther n'avait pas bougé d'un poil. Il était hors de question de faire si vite confiance au Phénix. Elle connaissait la nature noble de ces créatures divines, mais cela ne signifiait pas pour autant qu'elles avaient sa confiance aveugle. Cela pouvait être un piège énorme... Son doute se lisait visiblement dans ses yeux. Le Phénix le remarqua, et s'adressa à elle une fois que tout le reste de la troupe s'était installée sur son large dos.

_ Je lis le doute dans Ton cœur,
Enfants des Cieux et de la Flamme.
Je Te propose un marché.
Si Je transporte tes alliés sur Mon dos,
Et que, Saints et saufs, ils arrivent en lieu sûr,
Promets-Moi de ne parler de Notre existence à quiconque.
En récompense, Je Scellerai le Pacte des Phénix Éternels.
Qu'en dis-Tu, Enfants de l’Ether Brûlant ?

Un long silence s'établit alors. E avait baissé la tête, en proie à la réflexion. Elle pouvait lui faire confiance. Elle le pouvait. Mais son instinct de héron lui indiquait une menace venant de ce Volatile des Neiges. Elle ne voulait pas grimper. Elle amorça sa transformation en héron, pour bien montrer à ce piaf surgelé de quel bois elle se chauffait. Elle n'avait pas besoin de lui. Esther, espèce de sale petite tête brûlée. Au sens littéral du terme. Quelque chose clochait. La mâchoire crispée, elle retint une grimace de douleur. Mais merde à la fin, pourquoi lui arrivait-il toujours des tuiles au plus mauvais moment ?
La Plume dans sa main se mit à chauffer. A la brûler. L'intérieur de son corps semblait bouillir. Sa vue se troubla de nouveau. Pourquoi ne pouvait-elle pas se transformer en héron ? La jeune femme se força à ouvrir les yeux. Des plumes enflammées avaient pris la place de ses mains. Elle brûlait. Chaque nerf de son corps s’embrasa. La douleur la déchira... Elle tituba. Les cris alertés ne furent que des bruissements. Elle n'entendait plus rien. Elle ne voyait plus rien. Elle ne sentait que la douleur. Cette douleur qui montait, qui montait encore et encore. Elle se trouvait maintenant au bord du col. En contrebas, le vide.

_ ESTHER !!! NOOOOONNN !!! hurlèrent ensemble le Chef Humain et la Reine des Elfes, tendant la main vers elle, en vain.

Son corps, dans un soubresaut sanglant trébucha. Elle perdit pied avant de sombrer dans l'abime. Un silence passa. Le phénix de Glace n'avait pas bougé, se contentant de se maintenir à une bonne altitude. Les Dirigeants et la Reine s'étaient pétrifiés d'horreur. Comment... Pourquoi... Toujours ces mêmes questions... Avec le silence pour seule réponse. Les Généraux de chaque race se turent, amers. Elle était encore si jeune, et si pleine de vie... Elle avait tant fait pour son peuple, en si peu de temps. Comment avait-elle pu disparaître comme ça ? Et si elle n'avait pas été là, peut être seraient-ils encore prisonniers de la terre... L’un des généraux humains regarda ses confrères dirigeants. Tous avaient la gorge nouée. Tous pensaient la même chose. Le Phénix laissa l’un des hommes descendre afin de récupérer Sôrai, abandonnée dans la neige. Il eût encore un instant de silence, puis ils décidèrent qu’il n’y avait plus rien à faire, que c’était fini. L’oiseau battit des ailes, puis prit la direction d’un endroit sûr où les poser. Ils n’en revenaient toujours pas.
L’éclair venu du dessous les éblouit. Un sifflement aigu vrilla l'air. Bon sang, mais qu'est-ce que c'était encore que ça ? Tous sortirent leurs armes d’un même mouvement. Encore un silence, mais tendu cette fois. Le sifflement aigu retentit de nouveau, leur arrachant des frissons. Le ciel sombre se dégagea. Les rayons solaires, frais et neufs, vinrent frapper le volcan et les aveugla encore. Une flèche d'or s'échappa des cieux avec un sifflement acéré. Il y eut un instant de silence. Les chefs se regardaient, abasourdis.

_ Vous avez vu... ? Questionna l'Elfe.
_ Qu'était-ce ? interrogea l'Homme
_ Je l'ignore mais c'était puissant, nota l'Élémentaire.
_ C'est Elle... déclara lentement l'Oiseau des Glaces, pensif.
_ ELLE ?!?!?!
_ Tout bonnement impossible ! Trancha le Souverain Magique
_ Elle n'aurait jamais pu... balbutia la Reine. Si jeune...
_ Silence ! les interrompit-il, impérieux. Attendez un instant.

De nouveau, le sifflement strident emplit l'air de sa chaleur. Comme une caresse, un vent pur passait sur eux. Ils levèrent la tête... Et n'en crurent pas leurs yeux. Les dominant de toute son envergure, Esther respira une grande goulée d'air. Ses ailes brassaient l’air sans effort, ses plumes or réfléchissant les rayons du soleil. Son regard, turquoise et espiègle, se posa tour à tour sur chacun d’entre eux. Pour la première fois dans toute l'histoire de Gothaku, un hybride parvenait à maîtriser le "Phénix". C'était du jamais vu, une grande première. La Reine sourit. On eût dit qu'elle était attendrie du spectacle. Les Autres, eux, restaient bouche bée. Elle plana sur un courant d'air froid et se mit à la hauteur du Phénix des Neiges. Leurs yeux se croisèrent, puis ce dernier acquiesça. Dans un battement d'aile, ils se mirent en route et traversèrent tous le col enneigé sans un bruit. Le vol se fit sans encombre aucune... Sauf pour la demoiselle qui n'avait pas l'habitude manier un corps si imposant et majestueux. Les sens aiguisés que lui conférait son statut de phénix avaient de quoi la ... Désorienter. Elle percevait les plus minces flux d'énergie magique. Son ouïe décuplée la fit tressaillir. Une bataille avait lieu à l'horizon. Des têtes reptiliennes hideuses s'élevaient dans les airs avant de fondre sur un point minuscule. Un guerrier ? Face à cette abomination reptilienne ? Mais à quand aura-t-elle droit à sa dernière surprise, à la fin ???

Lorsqu'ils se posèrent, dans un hurlement rageur, le bretteur donna le coup de grâce au Roi Basilic, qui s'effondra dans une gerbe de sang. Esther interrogea mentalement l'Oiseau mystique, qui haussa les épaules pour montrer sa perplexité, tandis que les Dirigeants descendaient de leur monture improvisée, impressionnés par la prouesse de ce guerrier inconnu qui sans aucun doute venait de se hisser au rang des héros des Légendes... Lentement, la demoiselle remarqua que son champ de vision s'abaissait... Des fourmillements roulaient sous sa peau. Les plumes se rétractaient. Son bec redevint un simple nez. Son visage retrouvait ses traits humains. Elle redevenait elle même. Elle redevenait Esther Nahol, Chimère des Hybrides, et désormais prétendante au titre de "Phénix".

_ Maintenant, il est l'heure de sceller le Pacte.
Enfant Bestiale, reçoit Ma plume,
Symbole de Ma confiance et des éléments que Je domine.
Puisse le Vent gonfler Tes ailes et Ton vol être Prospère !

_ Merci, Seigneur des Cieux Glacés.
Puisse Votre battement d'aile faire trembler l'Aer
Et Votre sifflement faire vibrer les montagnes...

A ces mots, il s'évapora dans une brise fraîche, laissant derrière lui une longue plume aux reflets azurés. Les Souverains s'approchèrent et félicitèrent le vide. Esther savait que les Phénix pouvaient créer des illusions s'ils le désiraient... Mais elle ne pensa pas être immunisée contre de tels tours de l'esprit. Avec un sourire, elle les observa s'incliner face au vide. S'ils étaient heureux ainsi, pourquoi leur gâcher ce plaisir ? Quelque chose vibra dans sa main. Ses yeux turquoise s'abaissèrent. La plume bleue vibrait dans la brise, comme un doux rire. Ah, ces Phénix... Un soupir s'échappa de sa gorge tandis qu'elle se laissait tomber au sol, épuisée.
Il s'était passé tellement de choses, en si peu de temps... Sa vue se brouilla, alors que le Chef Humain s'approchait d'elle sa lance à la main. Il mit un genou à terre, face à elle. Les autres s'étaient précipités vers le nouveau héros, trop tard. Lui, il semblait avoir un air si solennel... Pourquoi donc tant de cérémonie ? Esther s'empara lentement de Sôrai, du bout des doigts. Avec un hochement de tête, elle remercia le Général. Ses paupières se fermèrent puis elle s'étala de tout son long, le soleil baignant son corps d'une aura rassurante et chaleureuse. Sans demander son reste, elle s'endormit là.

Enfin, elle avait droit à un peu de repos...